CHAPITRE I : LE DON MANUEL - GÉNÉRALITES
Section 1 : Définition et éléments constitutifs du don manuel
A. Définition
B. Le don manuel est une libéralité
C. Le don manuel est un contrat
D. Le don manuel est une donation à part entière
Section 2 : Clauses accessoires au don manuel
CHAPITRE II : LA PREUVE DU DON MANUEL EN DROIT CIVIL
Section 1 : La charge de la preuve
Section 2 : La preuve par présomption et par écrit du don manuel
A. « En fait de meuble s possession vaut titre »
B. La preuve écrite et l'article 1341 du Code c ivil
Section 3 : Cas d'application
A. Action en restitution - Action en revendica tion
B. Action en réduction - Demande de rapport
Section 4 : La preuve de la date
A. Entre parties
B. À l' égard des tiers
CHAPITRE III : LA PREUVE DU DON MANUEL EN DROIT FISCAL
Section 1 : Principes généraux
A. La charge de la preuve en droit fiscal
B. L'administration fiscale est un tiers
Section 3 : Droits d'e nregistrement et don manuel
Section 4 : Les articles 7 et 108 du Code des droits de succession et le don manuel
CONCLUSION : idem est non esse aut non probari
Introduction
* * *
1. - La jurisprudence démontre que trop souvent les parties ne mesurent pas les conséquences fâcheuses qui peuvent découler du manque de précau tions devant entourer le contrat qu'elles concluent.
Péchant par excès de confiance ou de pudeur à l'occasion d'une opération heureuse souvent réalisée dans un contexte familial, ou par un manque d'in formation, les donataire et donateur omettent de se réserver la preuve de la convention qui les unit et, partant, négligent de prévenir les conflits latents qui pourraient intervenir entre eux, leurs héritiers et/ou avec l'administration fiscale.
En effet, il apparaît qu'une grande confusion règne dans l'esprit des par ticuliers dont certains semblent convaincus que le non assujettissement du don manuel est le résultat d'une tolérance administrative dont l'application est laissée à la libre appréciation des receveurs.
Cette confusion est souvent alimentée par certains praticiens qui, confron tés au don manuel, n ' appréhendent peut-être pas toutes les implications fis cales et civiles découlant des règles qui gouvernent la matière de la preuve.
Il nous a ainsi semblé indispensable de réconcilier, une fois encore , cer tains principes qui dominent la matière de la preuve en droit civil et en droit fiscal afin de répondre aux exigences de la pratique et de tenter de dissiper toute confusion en la matière.
CHAPITRE I : LE DON MANUEL - GÉNÉRALITÉS
Section 1 : Définition et éléments constitutifs du don manuel
A. Définition
2. - Le don manuel peut être défini comme« une libéralité qui se forme par un contrat non solennel dans lequel le disposant, appelé donateur se dé pouille immédiatement et irrévocablement par la remise d ' un bien meuble corporel ou d'un meuble incorporel pour lequel le droit s' inco rpore au titre au profit du gratifié, appelé donataire ».
B. Le don manuel est une libéralité
3. - Les éléments constitutifs d'une libéralité sont au nombre de trois. Deux d'ordre matériel: l'appauvrissement du donateur et corrélativement l'enrichissement du donataire sans contrepartie ou avec contrepartie par tielle(]). Un troisième, d'ordre psychologique: l'animus donandi (2). Ce dernier élément qui peut être défini comme tant l ' intention d 'enrichir le donataire , est certainement le plus délicat à établir.
C. Le don manuel est un contrat
a) Un contrat unilatéral
4. - La validité du don manuel, comme tout cont rat, est en outre subor donnée au respect du prescrit des artic le s 1108 et suivants du Code civil trai tant de la capacité, du consente me nt, de !'objet et de la cause (3).
Le don manuel est un contrat gé néralement unilatéral (4) dont la réalisa tion procède de manière nécessaire mais non suffisa nte d'un échange de con sentement des parties. L'acceptation - qu'elle soit expresse ou tacite - du donataire est une condition sine qua non de formatio n de la donation (5) qui, à défaut, n'est constitutive que d'une simple offre.
En outre, le don manuel est un con trat entre vifs ayant pour conséq uence que l'acceptation du donataire doit interve nir avant Je décès du donateur.
b) Un contrat réel
S. - De surcroît le don manuel, appartient à la ca tégo rie des cont rats réels, c'est-à-dire ceux qui ne se forment que re, par la remise de la chose et non par l'effet du seul conse nteme nt des parties, la convent ion de donner, ayant précédé celle-c i (6). Il éc happe ains i à la so lennité prescrite par l'a rti cle 931 du Code civil qui exige la passation d'un acte auth ent ique pour réa liser la donation.
L'objet du don manuel, sujet à tradition, ne peut consister qu'en des biens meubles corporels tels que définis à l'article 528 du Code civil (7), ou des meubles incorporels pour lesquels le droit s'incorpore au titre comme par exemple les bons de caisse, les titres au porteur, les c hèqu es au porteur.
A contra rio , so nt exclus, outre les immeuble s, le s meubles incorporels pour lesque ls les droits ne s' inco rpore nt pas au titre tels que les titres nomi natifs, les livret s d'épargne, les portefeuilles d'assurances, les universalités de biens (1).
6. - La tradition est ainsi la pierre angulaire du don manuel sans laquelle celui-ci n'existe pas. La tradition consis te , dans sa forme originelle, en la remise, le transfert physique de la chose de la main à la main impliquant une appréhension et une possession matérielle du donataire (2).
Étant par essence dématérialisé et distinct de l'objet sur lequel il porte, l'exigence d'une tradition matérielle paraît s'opposer, comme le souligne
C. LAMBERT (3), à la possibilité de donner manuellement l' usu fruit ou la nue propriété d'un bien.
La tradition peut également s'effectuer Longa manu, c'est-à-dire par la mise à disposition du donataire de l'objet sans déplacement de celui-ci et ce, pour autant que le donateur s'interdise d'en disposer. Citons par exemple le cas de la remise des clefs d'un coffre avec renon donné par le donateur au contrat de location ou encore la remise des clefs d'un véhicule (4).
La tradition peut aussi se réaliser brevi manu, par interversion de titre. La donation s'opérera par une déclaration du donateur consacrant sa volonté de désormais «donner» à la personne (e.g. mandataire , dépositaire, emprun teur...) à qui la chose avait été remise au préalable à un a utre titre.
D. Le don manuel est une donation à part entière
7. - Par conséquent, le dépouillement du donateur doit être act ue l, c'est à-dire que le transfert du droit ne peut être différé (5). De surcroît, la tradi tion elle-même ne peut être différée et s'effectuer par exemple lors du décès du donateur. Ce qui s'oppose à ce que le don manuel puisse être affecté d'un terme ou d'une condition suspensive (1).
En outre, le don manuel à l'instar de toute donation est en principe irré vocable (2) conformément à l' artic le à l'article 894 du Code civil. Il en dé coule que la tradition doit être non seulement immédiate mais également définitive en telle sorte que si le donateur s'est réservé la possibilité de re prendre le bien ou d ' y avoir accès, le don n'est pas valable.
En revanche. rien ne s'oppose à ce qu ' un tiers soit mandaté par l'une, voire les deux parties , afin de réaliser la tradition (3).
Section 2 : Clauses accessoires au don manuel
8. - Souvent le donateur entendra circonscrire les effets du don manuel et en préciser les modalités.
Le donateur pourrait ainsi vouloir imposer une charge au donataire, pré ciser que la donation est effectuée en avancement d ' hoirie o u par préciput et hors part , prévoir une clause de retour conventionnel, une condition résolu toire (4) .. . De telles clauses peuvent être stipulées tant dan s l'intérêt du do nateur ou du donataire que d' un tiers (e.g. stipulation pour autrui).
Ces modalité s , qualifiées de pacte adjoint, constituent des clauses acces soire s au don manuel et sont vala ble s pour autant qu'elles ne soient pas en contradiction avec la nature même du don manuel.
CHAPITRE Il : LA PREUVE DU DON MANUEL EN DROIT CIVIL
Section 1 : La charge de la preuve
9. - Scion les articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, c'est à celui qui invoque un fait ou un acte de nature à renverser une apparence ou une situation établie qu'incombe la charge de la preuve (5). C'est à la partie qui entend tirer profit du don manuel qu ' e lle invoque à la ba se de sa préten tion d'é tablir l'existence de celui-ci. À défaut de preuve, ses prétentions seront vaines. Dès la preuve de cette prétention rapportée, il appartiendra à celui qui la conteste de tenter d'en apporter la preuve contraire s'il ne veut pas succomber.
Parmi les contestations les plus fréquentes qui s' élève nt en cette matière, on peut citer (1) :
- l'action en révocation et l'action en nullité du donateur ou de ses héri tiers ;
- l'action en réduction et la demande de rapport des hé r iti e rs du donateur ;
- l' action en restitution et en revendication du donateur ou de ses héritiers.
Section 2 : La preuve par présomption et par écrit du don manuel
A. « En fait de meubles possession vaut titre »
10. - Cette maxime, telle qu'elle découle de l'article 2279, alinéa 1 du Code civil a, faut-il le rappeler, deux significations en raison des deux fonc tions qu'elle est appelée à remplir: une fonction acquisitive (règle de fond) et une fonction probatoire (règle de preuve).
a) En fait de meubles possession vaut titre de propriété
11. - La fonction acq uisitive de) ' ar ti c le 2279, alinéa 1 du Code civi l est relative à la situation d ' une personne qui est en possession d ' un meuble qu'elle acquis de bonne foi d'une autre personne - a non domino - à qui le propriétaire l'avait confié.
Elle ne concerne pas l'hypothèse du transfert d'un meuble par convention entre le verus dominus (possesseur antérieur) et le possesseur actuel.
La possession constitue en ce sens un mode d' acquis ition de la propriété et partant, permet de faire obstacle à l'action en revendication intentée par le propriétaire initial qui s' est dépossédé volontairement (2) (3).
b) En fait de meubles possession vaut présomption de titre de propriété
12. - La fonction probatoire vise une toute autre situat ion ; celle d'un conflit entre le possesseur (4) antérieure (ou ses ayants cause) d'un meuble dont il prétend être resté propriétaire et le « possesseur » actuel qui invoque une possession véritable en qualité de propriétaire.
L'article 2279 du Code civil dans sa fonction probatoire permet au « possesseur » (1) actuel de bénéficier d'une présomption réfragable de titre de propriété, le dispensant de rapporter la preuve de la cause juridique sur la quelle il prétendrait fonder son droit de propriété.
La possession permet ainsi de présumer l'existence d'un titre de propriété avec pour conséquence que le possesseur excipant de sa possession obvie la difficulté inhérente à la charge de la preuve, qui pèsera désormais sur le de mandeur.
13. - La présomption de l'article 2279 du Code civil ne peut être invo quée efficacement que par celui dont la possession est utile, c'est à dire exempte de vices, présentant cumulativement les qualités énumérées à l'arti cle 2229 du Code civil (2). Il faudra , conformément à l'article 1315 du Code civil mais il suffira au demandeur d'établir que la possession n'est pas conti nue , paisible, publique ou non équivoque pour priver le possesseur du béné fice de la force probante qui s' attache à sa possession et renverser la charge de la preuve le contraignant à établir l'existence de son titre conformément au droit commun (cf. infra).
Cette présomption sera également renversées'il est établi que le prétendu possesseur n ' est en fait qu ' un simple détenteur ou encore que la possession a une origine frauduleuse (cf. infra).
B. La preuve écrite et l'article 1341 du Code civil
a) L' exigence d'un écrit
14. - La Cour d'Appel de Liège rappelle dans l ' e xposé des motifs de l ' arrê t rendu en date du 7 mars 2000 que« ..la preuve d' une donation ma nuelle doit se faire par écrit (article 1341 du Code civil)... » (3).
L'article 1341 du Code civil consacre en effet l' existence d'une obligation ad probationem entre parties, imposant la rédaction d'un écrit pour tout acte juridique ayant un objet dont la valeur est supérieure à 15.000 francs.
À défaut d'écrit, la preuve d' un tel acte juridique ne pourra être rapportée que par aveu ou serment ; la preuve par témoignage et/ou par présomption n' étant admissible que dans les conditions restrictives définies par les articles 13 47 (existence d'un commencement de preuve par écrit) et 13 48 (impossi bilité de se procurer un écrit) du Code civil (1).
En outre, rappelons que les tiers ne sont pas tenus au re s pec t de l'article 1341 du Code civ il. En d' autres termes, ils sont admis à prouver l' existe nce du don manuel par to ute s voies de droit.
b) L' interdiction de prouver par témoins contre et outre le contenu aux actes (2)
15. - La seco nde règle de l' article I 341 du Code civil contient une dou ble interdiction qui ne s' impose éga lement qu ' aux partie s à l ' ac te.
D' une part, le recours au tém oignage et à la préso mpti on n' est pas admis sible lorsqu ' il s ' agi t de prouver les omissio ns o u les ine xac titudes qui se se raient produites au moment de la rédaction de l' acte (<< prouver outre »).
D'autre part, pour apporter la preuve des modifica tions apportées à l' acte depuis sa rédactio n, il devra nécessa ire me nt être recouru à l 'écr it, à ! ' a ve u ou au serme nt ; les autres modes de preuve étant exclus(« prouver contre ») (3).
Ainsi, par exemple , s i le« donataire» se prévaut d' un éc rit signé par les parties constatant que tel bien lui a été do nné, le juge de vra écarter le témoi g nage que le « d o nateur » so uha iterait produire visa nt à étab lir q ue la re mis e du bien étai t jus ti fiée par une autre cause juridique (e.g. dépôt, prêt...). Tel sera également le cas si une partie conteste la réalité de la date du don ma nuel consacrée dans un écrit. Seuls , la preuve littérale, l 'ave u ou le se rment se ro nt admis.
Section 3 : Cas d'application (1)
A. Action en restitution (2) - Action en revendication
a) L'action en restitution
(i) L'action en annulation, en caducité ou en révocation de la donation mue par le donateur ou ses héritiers - L'action en exécution d'une obiigation au profit du donateur ou de ses hér itiers (e.g. droit de retour convention nel) (3).
16. - Il incombera au demande ur qui agit en restitutio n (4) d'apporter la preuve du don manuel et, le cas échéant, du pacte y adjoint, dès lor s que le
« donataire » se contente d'invoquer sa possession se retranchant derrière 1'article 2279 du Code civil. La preuve de la donation devra être administrée selon les règles du droit commun (i.e. par écrit, aveu ou serment si l'objet est supé rieur à 15.000 FB sauf en cas de commencement de preuve par écrit ou d'impossibilité de se procurer un écrit). Ne s'agissant pas d'un acte juridi que (5), la preuve de la cause de la nullité (6) ou de la révocation (7) pourra se faire par toutes voies de droit (8).
(ii) L' action en restitution fondée sur un contrat (dépôt, location, mandat, prêt...).
17. - Le scénario diffère du précédent en ce que le demandeur conteste l 'ex is tence d ' un don manuel.
Si le demandeur fonde son action sur une cause contractuelle de restitu tion, il lui appartiendra de rapporter, conformément aux règles précitées, la preuve de l'existence du contrat allégué. Une fois cette preuve rapportée, le prétendu donataire, demandeur sur exceptio n, s ' il ne veut pas être contraint de restituer le bie n, pourra à son tour établir qu ' il y a eu interve rsion de titre (article 2231 du Code civil) et prouver l' exis tence de la donation - en d'autres termes que sa détention est devenue une véritable possessio n - co nfo rméme nt aux articles 1341 du Code civil.
18. - L'on peut s'interroger sur les conséquences de l' aveu complexe du défendeur - eu égard à la situatio n du demandeur démuni d'écrit probatoire de la cause contractuelle de restitution qu ' il invoque - qui ne se contentant pas de se retrancher derrière la présomption dont il bénéficie sort de son mutisme et se prévaut de l'existence d'un don manuel. Selon la plupart des auteurs dont B. CAPELLE (1 ), un tel aveu (2) a pour conséquence que le de ma nde ur pourra se contenter de démo ntre r par toutes voies de droit l'invrai sem blance du don manuel (e.g. mé sinte lligence profonde et immémoriale entre le défendeur et le prétendu donateur) allégué sans avoir à établir une cause de restitution. Quoiqu'il en so it, gageons, que ce faisant, il favorisera indé nia blemen t la situation du demandeur qui pourrait établir une cause de rév oca tio n o u de nullité de la donation.
b) L'action réelle en revendication
19. - Le demandeur sera dans un premier temps amené à apporter la preuve de sa propriété (e.g. qu'il était antérieurement en possessio n du bien et ce, par to ute s voies de droit). Il en sera dispensé si le défendeur ne co n teste pas la possession antérieure du bien par le demandeur.
Le défendeur aya nt la maîtrise matérielle du bien bénéficie d'une triple présomptio n : 1) de po ssessio n régulière (article 2230 du Code civil), 2) de bonne foi et 3) de titre de propriété (artic le 2279 du Code civil).
Ce sont précisément ces présomptions que le demandeur devra renverser en établissant que le possesseur a à son égard une obligation de restitution et partant n'est que détenteur (cf. supra), que le possesseur est de mauvaise foi où encore, que la possession de ce dernier est affectée d'un vice.
Si le défendeur ayant perdu le bénéfice de la force probante de l'article 2279 du Code civil, invoque un don manuel, il devra en rapporter la preuve conformément aux dispositions 1341 et suivantes du Code civil.
B. Action en réduction - Demande de rapport
20. - Les héritiers agissant en vertu d'un droit qui leur est propre sont considérés comme des tiers à la convention à l'instar des créanciers. lis ne sont pas tenus au respect du prescrit de l ' artic le 1341 du Code civil en ma nière telle qu'ils pourront établir l'existence de la donation par toutes voies de droit.
Section 4 : La preuve de la date
A. Entre parties
21. - Entre parties l'importance de la preuve de la date est capita le lors que, par exemple, le donateur entend révoquer une donation qu'il prétend avoir faite à son conjoint pendant le mariage, invoquer la nullité de la dona tion alléguant qu ' à telle date il était incapable ou encore pour déterminer]'or dre des réductions (1).
La preuve de l ' invra ise mblance la date du don manuel consacrée dans un écrit probatoire, s'agissant de prouver« contre», doit être rapportée en res pectant le prescrit de l'alinéa 2 de l'article 1341 du Code civil (voyez supra) sauf à démontrer par toutes voies de droit qu'il y a eu fraude.
À défaut d'écrit probatoire ou lorsque la date du don manuel n'y est pas référencée et dans ce dernier cas, lor sq u' il est établi qu'il y a un décalage entre la date de I'instrumentum et du negotium, la date du don manuel pourra-t-elle être rapportée par toutes voies de droit? S'agit-il dans cette hypothèse de prouver« outre» le contenu de l'acte? En d'autres termes, la date, constitue-t-elle, comme le préconise Jurisprudence et Doctrine françai ses, une circonstance de l'acte ou, comme le considèrent certains auteurs, une indication conventionnelle (2). Gageons que l' existence ou l ' absence de la date d' une convention n'affecte pas l'essence même de la convention - quoiqu' elle puisse exercer une influence sur la validité du consentement donné par les parties (1) - et partant, que la date de l ' ac te n' est qu ' un fait juridique dont la preuve peut être rapportée par toutes voies de droit.
C. Par et à l'égard des tiers
22. - Les tiers ne sont pas tenus au respect de l'article 1341 du Code civil. Le créancier du donateur ou le cu rateur agissant au nom de la ma sse pourra a pporter la preuve de la date du don manuel par toutes voies de droit.
En outre , l' article 1328 du Code civil porte que la date d' un acte à l'égard des tiers ne fait foi qu ' à partir du moment où elle est devenue certai ne. En d ' autre s terme s, la date du don manuel contenue dans l'instrumentum le constatant, pou rra être rejetée par le tiers tant qu'elle n ' a pas acquis la carac tère certain exigé par la dispo sit io n précédente.
Les événements qui rendent op posable aux tiers (2) la date d ' un don ma nuel sont limitat ivement énoncés par la disposition précitée.
Il s'agit:
- de l'enregistrement (3),
- du décès de l'une des personnes qui a sousc rit l' acte (4),
- de la relation de la sub stance de l'acte dans un ac te authentique (5).
CHAPITRE III : LA PREUVE DU DON MANUEL EN DROIT FISCAL
Section 1 : Principes généraux
23. - La Cour de cassa tion ne manque pas une occas io n de rappeler que
« les principes du droit c ivil dominent le droit fisc al tant que ce de rnier n ' y a pas dérogé et sont applicables en matière d' enregis trem ent même dans le cas où ils se fondent sur une fiction du droit civil » (6).
A. La charge de la preuve en droit fiscal
24. - En matière fiscale, il n'est pas dérogé à l'adage Actori incumbit probatio.
Conformément aux articles 1315 du Code civil et 870 du Code judi ciaire(!), c'est à l' adminis tr at io n d'apporter la preuve des cond it io ns de débition de l' impôt.
Il existe des tempéraments à ce principe telles la taxation indiciaire de l'article 341 du CIR et les présomptions légales dont l'article 108 du Code des droits de succession qui sans renverser la charge de la preuve facilitent la preuve incombant à l'Administration.
B. L'administration fiscale est un tiers
25. - Du principe de la relativité des conventions tel qu'il découle de l'article 1165 du Code civil, il ressort que les droits et obligations issus du don manuel n' o nt d'effet qu'entre parties (effets internes). En revanche l'existence de la donation et la conséquence qu'elle a sur le patrimoine des parties est opposable aux tiers (effet externe) dès la formation du contrat et ce, sans aucune forme de publicité. Encore faut-il que les parties soient en mesure d' apporter la preuve de l'existence du don manuel et de sa date.
L'administration fiscale est un tiers relativement à la convention conclue par les parties.
En cette qualité, l'administration fiscale, n'étant pas tenue au respect de l'article 1341 du Code civil, il lui est loisible d'apporter la preuve de la do nation par toutes voies de droit et de contester par présomption et témoignage l'existence et la date du don manuel dont la preuve est rapportée par écrit (2).
26. - L'administration fiscale n'est cependant pas un tiers comme les autres, elle doit se fonder sur des réalités. Elle ne peut ainsi se prévaloir de l'article 1328 du Code civil et rejeter la preuve de la date d'un don manuel au motif que celle-ci n'est pas certaine (3).
Section 2 : L'article 341 du Code de l'impôt sur les revenus
27. - L' article 341 du C.I.R. stipule que « sauf preuve contraire, l 'éva luation de la base imposable peut être faite, pour les personnes morales comme les personnes physiques d ' après les signes ou ind ices d'où il résulte une aisance supér ieu re à celle qu'attestent les revenus déclarés ».
Selon la cour de cassation, l'article 341 du C.I.R. institue une présomp tion iuris tantum quant à l ' o r igine des so mmes co nsac rées à des dépenses ou investissements, celles-ci éta nt présumées provenir de revenu s impo sa bles et réalisées pendant la période imposable (1).
Le co ntribua ble souha itant re nve rse r cette présomption devra prouver par des « éléments positifs concl uan ts e t contrô la bles » (2) que!'aisance provient d ' aut res resso urce s que des revenus imposables (3).
28. - Relativement au don manuel qui compte parmi le s actes les plus co ura mme nt invoq ués par le co nt ribua ble, le juge du fond n 'e xige ni la preuve écrite de la donatio n, ni la preuve écrite du tra nsfe rt matériel des fonds (e.g. reçu, do c ume nt bancaire) lorsqu' elle es t int e rve nue entre mem bres d ' une même famille et tient compte des circo ns tances de fait (e.g. la capacité financière du prétendu donateur) (4).
De surcroît, la preuve écrite est parfois co nsidérée comme sus pecte par les juges du fond qui se méfient des attestations de compla is ance. C'est ains i q u' il résulte d' un arrêt de la Cour d ' appel de Gand (5) « qu'il semble normal qu'un père n' exige pas de reçu de son fils lo r s q u ' il lui fait un don manue l ; le co ntraire ferait supp ose r une co mbinaiso n mise sur pied par le s intéressés ».
Si le donataire renversera la présomption que les dépe nses qu'il a effec tuées ne proviennent pas de revenus imp osa ble s, en apportant la preuve , par toutes voies de droit, de la donation et de sa date ; gageons que sa tâc he se ra grandement facilitée par la rédactio n, in tempore non suspecto, d'un écrit lui permettant de diss ip er toute incertitude rel ative à l' o rig ine des fo nds et d 'é vi ter les difficultés inhérentes à l' établiss e me nt a posteriori d e la preuve de la donation en cas de prédé cès du d o nate ur.
Section 3: Droits d'enregistrement et don manuel
29. - Le don manuel ne figure pas parmi les écrits et les conventions non écrites obligatoiremen t enregistrables visés par les articles 19 et 31 du Code des droits d'enregistrement, en manière telle que la perception du droit de donation ne procède que de la volonté des parties qui présentent à l'enregis trement un acte faisant titre de la donation et ce, que ce soit directement ou par le biais d'un acte obligatoirement enregis trable ( 1) (2).
L' élément volontariste est déterminant. La connaissance par I'Administra tio n d' un don manuel constaté par écrit et signé par le s deux parties ne lui permet pas de réclamer le droit de donation. L'administration, dans sa décision du 13 décembre 19 96 (3), s'est prononcée en ce sens à propos de la mention d'une reconnaissance , dans la déclaration de succession de la défunte , d'un don manuel - et de la production subséquente d' un écrit signé par les deux parties consacrant son existence - consenti antérieurement par la défunte à son fils. Ces considérations sont applicables mutatis mutand is dans l'hypothèse où l' administration a connaissance d' un écrit faisant titre d ' une donation à l ' occasion de l' ouverture d'un coffre bancaire loué par le défunt au motif qu'il n' est pas - volontairement - présenté à l'enregistrement.
30. - En date du 29 juin 1989, la Cour de cassation (4) rejetant le pour voi formé contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxe lles du 23 se pte m bre I 986 (5), a consacré une pratique récurrente de l ' administrat io n (6).
La Cour de cassation a considéré, en l'espèce, que l' éno nc iat io n par le donataire d'un don manuel dans un acte notarié, ho rs la présence du dona teur, permettait de présume r l' intenti o n du donataire d'établir, au profit du donateur, un titre de la donation compte tenu que « ladite énonciation est sans rapport direct avec la disposition principale (en l'occurrence il s'agissait d'une vente) et ne s'explique que par la volonté de constituer un titre».
En d'autres termes, l'Administration est admise à considérer que la re connaissance du don manuel par le donataire fait « titre » de la donation - et percevoir les droits proportionnels - au motif que le donataire, bénéficiant d'un titre de propriété découlant de l'article 2279 du Code civil n'a pu avoir d'autre intention que celle de procurer au donateur une preuve de la conven tion en faisant « établir un acte destiné à créer un titre au profit du dona teur»(!).
31. - Cette volonté ne peut être présumée lorsque « cette énonciation unilatérale s'explique par l'intérêt d'indiquer la provenance des deniers ayant servi à payer le prix» (2); lorsque, par exemple, elle peut s'expliquer par la nécessité d'une déclaration expresse de remplo i imm obil ier (3).
32. - Cet arrêt suscite, nous semble-t-il, deux observations.
La première a trait à la notion même d'acte faisant titre . M. DONNAY, dé finit l' acte faisant titre comme étant« l'acte pouvant être considéré comme constituant la preuve littérale au sens donné à ces mots par le Code ci vil» (4). S'agissant d'une reconnaissance unilatérale, émanant du donataire, d'un contrat unilatéral dont les obligations pèsent sur les épaules du donateur, il nous semble difficilement défendable qu'une telle reconnaissance puisse constituer la preuve littérale de la donation intervenue et de surcroît, que le donataire eut l'intention de fournir pareille preuve au donateur. « On peut se demander quelle valeur attribuer à une telle déclaration le jour où elle sera produite en justice par l'adversaire de son signataire. Faut-il y voir un vérita ble acte sous seing privé de nature à faire la preuve complète du don manuel, ou bien un simple commencement de preuve par écrit, à défaut de la signa ture de l'une des parties contractantes?» (5). B. CAPELLE, considère qu'à condition que le donateur soit en possession de la déclaration du donataire , cette dernière aurait valeur d'acte sous seing privé. À défaut, elle n'aurait valeur que de commencement de preuve par écrit (6).
La deuxième observation rejoint notamment l'avis de M. MUNO (1) qui précise qu’il est des situations où le donataire doit se constituer un titre s' il ne veut pas succomber et notamment lorsqu'il ne bénéfice pas de la protection l'article 2279 du Code civil (voyez supra). Nous pensons qu'en l'espèce la Cour de cassation a omis de prendre en considération que l'objet de la donation invoquée était une somme d'argent - a priori non individualisée - avec la conséquence que le possesseur n'était pas en mesure de bénéficier de l'article 2279 du Code civil.
33. - En l'état actuel des choses, cependant, les droits de donation seront exigibles lorsque l'acte est présenté à l'administration par les deux parties ou par le donataire seulement. En revanche , seul le droit fixe général (1.000 FB) sera dû lorsque la reconnaissance de la do natio n émane du seul donateur (2).
Section 4 : Les articles 7 et 108 du Code des droits de succession et le don manuel
34. - Le don manuel est un instrument incontournable de planification successorale. Par le biais de donations successives faites à ses ayants droit, le défunt diminue la progressivité de l'impôt successoral.
35. - Le législateur fiscal a progressivement apporté plusieurs bémols à cette pratique en édictant principalement deux articles ayant trait au don manuel.
L'article 7 qui à la lecture des travaux parlementaires de la loi du 11 octobre 1919 vise principalement les dons manuels, contient deux règles (3). La première prévoit que les biens dont le défunt a disposé à titre gratuit dans les trois années précédant son décès par des libéralités qui n'ont pas été assujetties au droit d ' enregistre ment établi pour les donations, sont considérés comme faisant partie de la succession du défunt (al. 1cr). La seconde règle de l' article 7 permet, dans l'hypothèse où l 'administration, les héritiers ou légataires démontrent qu'une personne déterminée a effectivement bénéficié des libéralités consenties par le défunt dans les trois ans précédant son décès, de considérer ce bénéficiaire comme légataire du de cujus (al. 2) (4).
La principale difficulté que rencontre l'Administration dans l'application de cet article réside dans la charge de la preuve de l'existence de la donation manuelle et de sa date lui incombant.
36. - L'administration fiscale contourne cette difficulté en recourant à une autre disposition, l'article 108 du Code des droits de succession. Cet ar ticle lui permet d'inverser d'une certaine manière, en sa faveur, la dynamique de la charge de la preuve en instituant une présomption réfraguable de pro priété dans le chef du défunt.
Tout acte, e.g. bordereau d'achat de titre, facture, extrait de compte, acte de vente, reconnaissance de dette (1) ... passé par le défunt à son profit ou à sa demande ou tout acte passé par un tiers au profit du défunt établissant qu'à un moment donné le défunt était propriétaire d'un bien permet à l'administration de présumer que ce bien est toujours la propriété du défunt au moment de son décès.
À l'égard des biens meubles auxquels s'appliquent l 'article 2279 du Code civil (voyez supra), la présomption ne s'applique que pour les actes qui ne remontent pas à plus de trois avant le décès. Pour les actes remontant à plus de trois ans ayant pour objet des biens meubles auxquels s'appliquent l'article précité, l' administration ne pourra les utiliser que comme simple élément de preuve conformément à l'article 105 du Code des droits de succession (2).
En revanche, pour les biens auxquels l'article 2279 du Code civil ne s'applique pas, tels les billets de banque, l ' administratio n est droit d' invoquer l'article 108 § 1 précité lorsqu'elle aura établi l'existence d'un acte de propriété et ce, que la date de cet acte remonte à moins de trois ou pas.
37. - La preuve du don manuel et de sa date revêt ici une importance dans plusieurs hypothèses.
La première a trait à la situation dans laquelle se trouve un héritier lors que l' Ad ministration a démontré par le biais d'actes remontant à moins de trois avant le décès du défunt que celui-ci était propriétaire de tel bien précé demment son décès et que ledit héritier entend établir qu' est intervenu un don manuel au profit d'un tiers bénéficiaire (3). Ce faisant, il évitera une imposition conséquente relativement à un bien qu'il n'a pas recueilli.
Lorsque l'administration présume par le biais d ' actes remontant à plus de trois avant le décès du défunt, qu'un bien , auquel l'article 2279 du Code civil ne s'applique pas, se trouve dans sa succession, il suffira aux héritiers d'apporter la preuve que ce bien a fait l'objet d'un don manuel plus de trois ans avant le décès du donateur.
Une autre hypothèse se rapporte à la situation dans laquelle se trouve l'héritier à l'égard duquel l'administration - sans avoir établi que l’acte de propriété (1) passé par le défunt était intervenu dans les trois années précédant son décès - avance des faits précis et concordants tendant à démontrer que le défunt était toujours propriétaire du bien au moment de son décès (2).
38. - Dans ces hypothèses, l'héritier sera amené à faire la preuve du don manuel et de sa date conformément aux règles étudiées précédemment, étant entendu que l'administration fiscale est un tiers à la convention invoquée.
À !'instar de la matière des droits d'enregistrement « on peut supposer que l'administration appliquera en matière de droits de succession la même tolérance que celle qui existe en matière de droits de droit d'enregistrement, c'est à dire d'autoriser les successeurs à faire la preuve de la sincérité de la date du don manuel » sans exiger qu’elle ait un caractère certain conformé ment à l' article 1328 du Code civil (3).
Gageons, que la preuve par écrit du don manuel et de sa date permettra d'éviter toute contestation.
CONCLUSI ON : idem est non esse aut non probari (4)
39. - Nous pensons avoir démontré à suffisance !' importance, voire la quasi-nécessité, que revêt la preuve écrite du don manuel et de sa date en droit civil. L'absence d'une telle preuve, en cas de contestation, aura pour conséquence - sauf application des articles 1347 et 1348 du Code civil - que la partie qui a la charge de la preuve du don manuel se trouvera dans l' impossibilité d'établir l'existence de la convention sur laquelle elle fonde sa prétention.
Les praticiens ne peuvent ignorer les implications inhérentes à la matière de la preuve sans négliger la sécurité juridique de l'opération à propos de laquelle ils sont consultés.
Nous avons également démontré que la preuve écrite du don manuel n'est pas dépourvue d'intérêt en droit fiscal - qui peut le plus peut le moins et qu'elle n'engendre la perception des droits d'enregistrement que lorsque l'écrit probatoire de la donation est volontairement présenté à !'enregistre ment par les parties ou par le donataire.
Cet intérêt se trouve également conforté par la position occupée par la preuve écrite dans la hiérarchie des modes de preuve et la valeur attachée à la preuve écrite préconstituée, établie in tempore non suspecta, par les juri dictions.
En outre, l'acte sous seing privé constatant le don manuel devra impérativement faire apparaître qu'i1 constate un don manuel déjà réalisé par une tradition antérieure ou même concomitante. À défaut, il pourrait être considéré comme nul pour violation de l'article 931 du Code civil (cf. supra) ( 1).
40. - Quant à l'opposabilité aux tiers de la date du don manuel, ce point représente, nous semble-t-il, un intérêt pratique marginal depuis que l'administration a renoncé à se prévaloir de l'article 1328 du Code civil. Cependant, le recours à l'acte authentique reçu par un notaire étranger (2) (c.g. hollandais, luxembourgeois, suisse (cf canton de Luzern et Schwyz)) portant donation ou constatant un don antérieur, permettra de rencontrer cette exigence.