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« Evaluation d’un droit d’usufruit immobilier acquis par une société : autonomie du droit commun - incompatibilité des méthodes d’évaluation forfaitaires du droit fiscal » : Recueil Général de l’Enregistrement et du Notariat, septembre 2007 ;

Evaluation d’un droit d’usufruit immobilier acquis par une société : autonomie du droit commun - incompatibilité des méthodes d’évaluation forfaitaires du droit fiscal.

 Le droit comptable et le droit civil.    

L’usufruit d’un immeuble acquis par une société s’inscrit à l’actif de son bilan sous la rubrique « Terrains et Constructions » en tant qu’immobilisation corporelle dont l’évaluation procède de sa valeur d’acquisition, laquelle n’est autrement définie par le droit comptable  que comme étant le prix d'achat et les frais accessoires y afférents.

 

L’Arrêté royal du Code des sociétés balise le processus d’évaluation de ce prix d’achat en précisant d’une part, que son évaluation doit se faire à l’aune des critères de prudence, de sincérité et de bonne foi , et d’autre part, que les comptes annuels doivent, au demeurant, refléter l’image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de la société .  

En outre, les actifs d’une entreprise sont à évaluer dans une perspective de continuité de l’exploitation s’opposant à celle qui prévaut dans une optique de liquidation de l’entreprise où leur évaluation s’identifie à leur valeur de réalisation . 

Une autre butée est posée par la Commission des normes comptables dans son avis 126/17  lorsqu’elle précise que si les parties ont toute liberté pour déterminer le prix et apprécier souverainement l'équivalence des prestations réciproques, l'on présume implicitement qu'en cas de fixation libre du prix, chaque partie concernée s'est efforcée de maximaliser son propre profit, le résultat étant un prix de transaction considéré par les parties comme une rémunération équivalente des engagements contractés. 

Et d’ajouter, que l'équivalence des prestations réciproques est, par définition, relative puisque liée à l'appréciation subjective des parties contractantes laquelle est tributaire de la situation particulière dans laquelle elle se trouve ou de leur appréciation des circonstances de fait.

 

Dans le même avis, la Commission des normes comptables ajoute que lorsqu’il existe un déséquilibre important dans la valeur des prestations et pour autant qu’il y ait volonté d’une des parties d’avantager l’autre partie, l’(a) (ré)évaluation du prix correspond à la juste valeur  de l’actif ainsi acquis et prescrit d’inscrire dans le compte de résultat un bénéfice égal à la différence positive entre la juste valeur et le prix effectivement payé.     

 

L’usufruit confère à son titulaire le « fructus » et l’ « usus », le droit de jouir et le droit d’user de la chose. Le droit de jouissance offre à l’usufruitier le droit de jouir de toute espèce de fruits soit naturels, soit industriels, soit civils que peut produire l’immeuble dont il a l’usufruit .  

Le droit d’usage accorde à l’usufruitier le droit d’occuper l’immeuble, d’y effectuer des travaux, d’en exploiter le fonds de commerce mais également de conclure des baux, de concéder un droit de superficie, un droit d’emphytéose voire un usufruit .       

Le droit d’usage et le droit de jouissance que confère le Code civil à l’usufruitier influenceront l’évaluation du prix d’un usufruit dans la mesure de l’intention de ce dernier de faire prévaloir et d’exercer telle ou telle prérogative que permettent le fructus et l’usus ainsi acquis.

Ses caractéristiques intrinsèques objectives telles sa nature (usufruit successoral ou non), sa durée , l’objet sur lequel il porte (terrain ou bâtiment), son état, ses charges, affecteront également l’évaluation du prix d’acquisition d’un usufruit.  

 Le droit fiscal. 

La Jurisprudence de la Cour de Cassation est constante depuis des décennies dans le cadre du contrôle de l’application du principe selon lequel les règles du droit commun s’imposent en droit fiscal dans la mesure où il n’y a pas été dérogé  . 

Le législateur a dérogé au droit commun notamment aux articles 47 , 49 et 50 du Code des droits d’enregistrement, aux articles 21 , 22 et 66 du Code des droits de succession ainsi qu’à l’article 54 de l’Arrêté royal d’exécution du Code des impôts sur les revenus renvoyant aux règles d’évaluation contenues à l’article 47 du Code des droits d’enregistrement. 

Ces articles et les critères d’évaluation y définis s’imposent dans le strict respect de leur champ d’application. 

Pour le surplus, les critères dégagés par le droit commun prévalent.

Dans le cadre d’un recours introduit par une société ayant bénéficié de l’apport d’un usufruit portant sur des terres agricoles à qui l’Administration fiscale avait imposé la méthode d’évaluation de l’article 47 du Code des d’enregistrement alors que la société lui avait préféré celle de l’article 21 du Code des droits de succession, le Tribunal de Première Instance de Namur dans son jugement du 28 juin 2006  a précisé ce qui suit : 

« (…) la demanderesse n'avait en effet, pour calculer la valeur de l'usufruit litigieux, aucune obligation de se référer à l'article 47 du C. enreg. Tout ce qui lui était imposé, c'était de se conformer aux principes directeurs qui sous-tendent l'établissement des comptes annuels des entreprises et, en particulier, l'article 19 alinéa 1er  de l'arrêté royal du 8 octobre 1976 (…) Elle n'avait certes pas d'obligation non plus d'adopter la méthode préconisée par l'article 21, VI du C. succ. en multipliant la valeur de la pleine propriété par 4%, puis par le coefficient 11(….) ».

Le Tribunal de Première Instance de Mons en date des 23 juin 2004 et 28 février 2005  a sanctionné également le recours aux méthodes forfaitaires d’évaluation d’usufruit prescrites  tant par le Code des droits de succession que par le Code des droits d’enregistrement pour lui préférer une valorisation économique. 

Le Ministre des Finances a précisé quant à lui à l’occasion d’une réponse à une question parlementaire  que « la valeur de l’usufruit doit être déterminée sur la base des données factuelles et juridiques propres à chaque cas ».  Il a également ajouté que le produit actualisé des loyers peut constituer un élément pouvant permettre d’évaluer un usufruit. 

 Conclusion.

C’est vers le parent pauvre du droit, le droit comptable, qu’il convient de se tourner pour dégager les principales et très éclectiques lignes directrices d’évaluation du prix d’achat d’un usufruit immobilier. 

Le droit fiscal et ses méthodes forfaitaires d’évaluation ne priment le droit commun qu’à l’endroit de l’opération qu’il entend imposer. 

Il importe cependant d’observer que le Tribunal de Première Instance de Namur semble  admettre l’utilisation de la méthode forfaitaire telle que prévue par le Code des droits de succession en apportant dans le jugement précité les précisions suivantes : « rien ne pouvait l'en empêcher dès lors que cette méthode permet d'arriver à une évaluation objective (ce qui n'est pas le cas de l'article 47 C. enreg qui aboutit à une estimation spécifique destinée à l'application des droits d'enregistrement) ».

Le Tribunal semble admettre le recours à l’évaluation forfaitaire du Code des droits de succession pour autant que cette évaluation soit étayée par des données du marché immobilier lorsqu’il précise dans son dispositif que : « Rien ne permet au tribunal de mettre en doute l'adéquation de la valeur globale déterminée par le notaire instrumentant (en l’espèce le notaire de la société), qui s'est lui-même référé aux données du marché immobilier de son ressort ».

Les enseignements du droit comptable sont de plusieurs ordres. D’une part, l’évaluation de l’usufruit doit intervenir dans une perspective de continuité de l’entreprise et non dans une perspective de cessation d’activité. 

D’autre part, le droit comptable présuppose que le prix est le résultat d’une transaction où chaque partie a eu l’intention de maximaliser son propre profit, tenant compte de la situation particulière dans laquelle chacune d’elle se trouve et de son appréciation des circonstances de fait. 

L’évaluation reflétera en ce sens également la valeur de convenance - ou d’inconvenance - qu’il présente pour son acquéreur (telle par exemple l’économie d’échelle réalisée par une entreprise qui par l’acquisition d’un droit d’usufruit étendra son unité de production par opposition aux coûts générés par une délocalisation totale ou partielle de celle-ci) ainsi que les clauses subjectives - telles des clauses de non-concurrence - figurant dans l’acte d’acquisition.

La valeur d’acquisition se distingue, ce faisant, sensiblement de la valeur vénale laquelle n’englobe pas d’éléments relevant l’appréciation  subjective de l’acquéreur tels la valeur de convenance ou la valeur affective que le bien peut représenter pour ce dernier, pas plus que les mobiles qui ont conduit l’entreprise à acquérir un usufruit . 

Quant aux critères et méthodes d’évaluation dégagés par la Jurisprudence, le Tribunal de Première Instance de Mons dans son jugement du 28 février 2005  a consacré la formule de Jan Verhoeye qui vise à évaluer l’usufruit selon la formule suivante : (loyer annuel brut – frais annuel ) x 1-1/(1+i)n/i . 

Cette formule ne prévoit pas l’intégration de paramètres subjectifs. En outre cette méthode apparaît d’autant minimaliste que, comme le font remarquer d’autres auteurs , elle réduit l’usufruit à son rendement locatif alors que les mobiles qui conduisent une entreprise à acquérir un usufruit sont de nature diverse, tantôt spéculative, tantôt financière (en vue de modifier l’image bilantaire de l’entreprise), tantôt opérationnelle, etc…. tantôt l’une et les autres. Elle ne permet pas la prise en considération des différentes prérogatives inhérentes à l’usus dont l’usufruitier est titulaire. 

Il nous apparaît difficilement réalisable de dégager une formule unique d’évaluation du prix d’achat d’un usufruit d’un immeuble tant les critères d’évaluation que l’appréciation de leur degré d’importance peuvent diverger d’une entreprise à une autre.