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Lorsque Brexit dur rime avec exit tax

Publié dans la Libre-éco - le mercredi 29 janvier 2020

La sonnerie des cloches de Big Ben souhaité par le député tory Mark François pourrait induire des conséquences insoupçonnées sur les relations fiscales belgo-britanniques.

La plupart des textes adoptés en 2019 par les législateurs1, fédéral et régionaux, assimilant précautionneusement, dans l’hypothèse d’un brexit dur, le Royaume-Uni à un état membre de l’Union européenne ont en effet cessé de produire leurs effets le 31 décembre dernier.

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne annoncée pour le 31 janvier 2020 est l’occasion de rappeler que ses membres bénéficient d’une protection qui ne relève pas de la litote.

La fin de la protection du traité et de la jurisprudence européenne.


Dès lors qu’il quitte le giron européen, le Royaume-Uni se prive, c’est une lapalissade, des libertés fondamentales garanties par le traité européen.

Libre circulation des capitaux et liberté d’établissement pour ne citer qu’elles sont des valeurs cardinales, en ce compris en fiscalité.

Ces principes et libertés consacrés aux 45 à 89 du TFUE dont la violation est poursuivie et sanctionnée par la Commission et la Cour de Justice ont façonné le paysage fiscal européen.

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L’on ne compte plus les décisions rendues par la Cour et, en amont, les infractions relevées par la Commission, qui ont contribué depuis les années 90 à une forme certaine d’harmonisation fiscale européenne et dont les bienfaits se sont traduits dans un très grand nombre de domaines de la fiscalité (retenue à la source, impôt sur la fortune, mesures anti-abus, dépenses déductibles, …) et secteurs d’activités.

L’arrêt Cadbury-Schweppes, l’arrêt Saint Gobain, la jurisprudence Schumaker, les arrêts Aberdeen, Marks & Spencer ou plus récemment, pour n’évoquer que ceux-là, l’arrêt Polbud du 25 octobre 2017 ont constitué des avancées majeures du droit positif international.

Le Royaume-Uni jettera-il le bébé avec l’eau du bain ?

La sortie du Royaume-Uni de l’Union sonnera par ailleurs très probablement, à tout le moins partiellement, le glas de directives majeures qu’il s’agisse de la directive applicable aux paiements d’intérêts et redevances entre sociétés associées, de la directive mère-fille, des directives fusion, des directives ATAD ou encore de la directive du 10 octobre 2017 instaurant un mécanisme de règlement de tous les différends fiscaux entrée en vigueur cet été.

Rien ne s’opposera en effet à ce que le UK retire ses textes nationaux transposés suite à l’adoption de ces directives.

Exit donc le régime fiscal et son exonération de précompte mobilier applicable aux paiements d’intérêts mais également aux redevances en faveur de sociétés associées.

Le régime belge est en effet subordonné à ce que les sociétés débitrices et bénéficiaires soient des sociétés d’États membres de l’Union.

La fin des RDT et taxation des plus-values.

Exit également le régime RDT, acronyme de revenus définitivement taxés, qui permet une déduction des dividendes étrangers distribués à une société belge ?

Tout dépendra du taux de l’IS adopté par le Royaume-Uni.

La loi prive en effet les sociétés belges du droit de déduire les bénéfices étrangers qui lui sont distribués dès lors qu’ils proviennent de sociétés établies en dehors de l’Union Européenne et qui sont soumis à un régime notablement plus avantageux.

Elle précise qu’il y a régime notablement avantageux dès lors que le taux nominal de l’impôt sur les bénéfices distribués est inférieur à 15% ou si la charge fiscale effective sur ces mêmes bénéfices est inférieure à 15%.

Si le Royaume-Uni devait baisser son taux en deçà de ce seuil en vue de jouer à plein la carte du dumping fiscal ainsi que d’aucuns le pressentent, les bénéfices distribués par les filiales anglaises ne seraient plus déductibles des bénéfices belges au titre de RDT.

Cette perte de déduction entrainerait un autre dommage collatéral et non des moindres à savoir l’imposition des plus-values sur ces participations anglaises, le régime d’exonération des plus-values étant corrélé au régime des RDT.

Imposition des plus-values privées.

Il en ira de même de la plus-value sur participation (au minimum 25%) de société belge possédée directement ou indirectement par une personne physique et cédée à une société anglaise ou à certains partnerships anglais.

Son imposition au titre de revenus divers interviendra indépendamment du régime de taxation de la société anglaise par la seule circonstance que la société acquéreuse a son siège en dehors de l’Espace économique européen.

Fusions et scission désormais taxées.

Brexit rime encore avec exit tax en cas de transfert de résidence d’une société belge au UK.

Le régime de neutralité fiscale prévu à l’article 214bis du Code belge des impôts sur les revenus ne s’applique pas en cas de déplacement de siège de la société vers un Etat qui n’est pas membre de l’Union européenne.

Les mêmes implications seront de mise en cas de restructuration avec une société outre-manche. Le transfert d’un établissement belge ou d’éléments d’actifs d’une société belge vers une société anglaise à l’occasion d’une fusion, d’une scission, d’un apport de branche d’activité ou d’universalité ne pourra bénéficier du régime de neutralité fiscale.

L’absence d’imposition des plus-values, la continuité fiscale ne sont en effet pour lors applicables qu’aux société qualifiées de sociétés « intra-européennes », c’est-à-dire schématiquement aux entités résidentes d’un État membre de l’Union européenne au rang desquels le Royaume-Uni ne comptera plus.

Revenus immobiliers plus lourdement taxés.

Les bras protecteurs de la Cour de Justice n’embrasseront désormais plus les revenus immobiliers et les pensions, pour ne « shortlister » que ces éléments (alors qu’un grand nombre d’autres dispositions mériteraient qu’on s’y attarde également).

La Cour de Justice s’est une énième fois opposée en date du 12 avril 2018 à ce que la base imposable de la détention de biens immobiliers situés dans l’Union européenne à l’étranger soit plus importante que celle des biens situés sur le territoire national.

L’argument tiré de la violation de l’article 63 TFUE et de l’article 40 de l’accord sur l’Espace économique européen sur lequel s’appuyait cette décision ne sera désormais plus accessible aux contribuables belges détenteurs d’immeubles au UK.

La clause d’émigration réactivée.

Les capitaux résultant d’assurance-vie, des pensions complémentaires et extralégales et des sommes y assimilées, seront susceptibles d’être impactés par la « clause d’émigration » contenue à l’article 364 bis du Code belge des impôts sur les revenus qui pourrait renaître de ses cendres.

Cette disposition rend inopposable le transfert de résidence d’un contribuable opéré préalablement à la perception de ses capitaux, ceux-ci étant imposables en Belgique la veille de l’émigration.

Limitée sur injonction de la Commission européenne le 17 décembre 2003 aux seuls transferts opérés en dehors de l’Espace économique européen, les candidats à la résidence britannique seront dans un grand nombre de cas sans protection de ce point de vue.

Le bémol apporté par la convention du 27 juin 1989 tendant à éviter la double imposition et prévenir l’évasion fiscale.

Si le traité européen et de manière générale le droit européen secondaire ne seront plus applicables dans les relations belgo-britanniques, les contribuables pourront encore se prévaloir et c’est heureux, de la Convention préventive de double imposition du 27 juin 1989 conclue entre la Belgique et le Royaume-Uni laquelle prime les droits nationaux.

Cette convention contient notamment une disposition prohibant toute discrimination fondée sur la nationalité dès lors que les contribuables se trouvent dans des situations identiques.

Elle permet, dans une mesure et selon des conditions et modalités en règle plus restrictives qui divergent des normes européennes, une réduction voire une exonération de précompte sur les dividendes et intérêts.

Un régime similaire au régime des RDT est contenu à l’article 23 alinéa 2 f de la convention prévoyant une exemption à l’impôt des sociétés des dividendes distribués mais à des conditions identiques à celles du droit belge qui excluent les entités dont le taux de l’ISOC est inférieur à 15%.

Ce traité fiscal et les autres conventions, bilatérales et multilatérales, conclues par le Royaume-Uni dont la convention du 7 juin 2017 consacrant les mesures anti-BEPS2 offrent donc une protection a minima dont il conviendra d’étudier les contours avec précision pour apprécier chacune des implications fiscales du Brexit dès lors qu’un contribuable possède un lien de rattachement plus ou moins ténu avec l’île.

Gageons que les négociations entre Boris Johnson et Ursula von der Leyen comporteront un important volet fiscal qui ne devrait voir le jour que dans de nombreux mois.

 

https://www.lalibre.be/economie/decideurs-chroniqueurs/lorsque-brexit-du...