Van Elder & Associates
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« L'accroissement sur les valeurs mobilières, un outil de planification patrimoniale puissant et vertueux pourtant parent pauvre de l'estate planning » : Recueil Général de l'Enregistrement et du Notariat, septembre 2015 ;

L’accroissement sur valeurs mobilières, un outil de planification patrimoniale puissant et vertueux, pourtant parent pauvre de l’estate planning.

I. Notion et contextes 

Le recours à l’accroissement est apparu en matière immobilière et plus précisément dans le cadre d’acquisition indivise par des concubins, au début des années 90, en vue de limiter l’application en droits de succession des taux exorbitants entre étrangers. A cette époque, l’assimilation des cohabitants aux conjoints n’était pas de mise.  

La convention d’accroissement mobilière contribue à éviter le morcellement d’un patrimoine et favorise une certaine stabilité dans sa gestion. 

Si la mise en place de structures sociétaires facilite le contrôle des actifs sous-jacents, il n’est pas rare que le problème se reporte sur les actions ou parts émises par ces entités qu’il s’agisse de sociétés holdings, immobilières, patrimoniales ou autres structures qui dépendront tôt ou tard de la succession de leur titulaire. 

En pareille hypothèse, la gestion de l’entité et sa pérennité peuvent ne pas résister à la double difficulté que représentent une indivision et un démembrement de propriété sur chacun des titres transmis.

L’accroissement offre à cet endroit une solution singulière, puissante, parfois radicale voire inique.

Il est un des exceptionnels « moyens » permettant l’exhérédation d’un époux, un enfant, voire d’une branche familiale entière à la faveur d’une personne qui peut ne pas être héritier réservataire voire tout simplement pas successible. 

A l’inverse, cette technique de transmission n’empêche pas la concentration de l’entièreté des droits  entre les mains d’un seul héritier réservataire ou successible, un conjoint, un frère délibérément choisis pour des raisons qui peuvent tenir à ses capacités managériales, à son rôle dans l’entreprise, à ses affinités avec le patrimoine sous-jacent, à sa qualité d’aîné, ou tout simplement à un souci de prévoyance.   

Dans un contexte entrepreneurial, la clause d’accroissement peut ainsi s’avérer être un outil approprié de prévention de conflits entre les actionnaires et leurs familles.

Le contrat d’accroissement est encore particulièrement utile en vue de dissuader les velléités des héritiers nus-propriétaires, enfants voire beaux-enfants qui se verraient privés du droit  forcer la capitalisation d’un portefeuille-titres, d’une collection oeuvres d’art, de titres d’une entreprise, … 

Son efficacité procède également des aménagements et modalités dont il s’accommode et qu’il tire de l’autonomie des volontés lui vouant une large souplesse dont celle dont dispose le bénéficiaire d’opérer des choix  et des arbitrages au moment où la succession du cédant s’ouvre en considérant la réalité de la situation et ses paramètres à ce moment.

L’accroissement  est en outre un mode de transfert de patrimoine bénéficiant d’une fiscalité particulièrement avantageuse.

II. Eléments fondamentaux.

2.1 Un contrat.

2.1.1 Un contrat autonome 

L’accroissement consiste pour chaque partie à céder à l’autre la part qu’il détient dans le bien pour le cas où il prédécède . 

En contrepartie de cette cession, chaque contractant dispose selon des probabilités identiques de l’éventualité d’acquérir la part de l’autre.   

La dynamique de l’accroissement est d’une grande simplicité : X cède sa part à Y pour autant que X décède le premier et réciproquement.

L’accroissement est un contrat autonome, il est indépendant de l’opération intervenue en amont.

Une telle caractéristique n’est pas anodine puisqu’une convention d’accroissement peut parfaitement être conclue au moment de la naissance de l’indivision des valeurs mobilières comme elle peut intervenir ultérieurement  pour régir des valeurs acquises précédemment lors d’un achat, d’une donation, d’un partage, d’une succession, d’un apport antérieurs… 

Un accroissement est traditionnellement le fait de deux parties, rien n’empêche à notre estime qu’il procède d’un accord d’un plus grand nombre.

2.1.2 L’objet de la convention

Nous sommes d’avis que les biens indivis faisant l’objet de la convention d’accroissement peuvent avoir été acquis tant à titre gratuit qu’à titre onéreux. Néanmoins le mode d’acquisition originaire n’est assurément pas neutre, que l’on songe par exemple au droit de retour inhérent aux donations et à son effet résolutoire  qui neutralisera l’accroissement, aux conséquences de l’inexécution d’une charge par l’un des donataires indivis, ou tout simplement aux conséquences d’une atteinte à la réserve. 

L’on sera particulièrement attentif aux restrictions découlant notamment du Code des sociétés, des lois ou des statuts régissant les sociétés ou personnes morales dont les titres émis sont cédés selon ces modalités. 

Tant les meubles corporels qu’incorporels sont susceptibles d’accroissement.

Il en va ainsi d’œuvres d’art ou objets de collection.

Il en va également des titres au porteur, nominatifs ou dématérialisés de sociétés belges ou étrangères mais également des certificats  ainsi que de tous les instruments financiers susceptibles d’être qualifiés comme tels .

Les parts indivises d’une société de droit commun sont susceptibles d’accroissement. 

Le contrat portera tant sur des droits en pleine propriété qu’en nue-propriété acquis à la suite d’une indivision successorale par exemple.

S’agissant d’un usufruit conventionnel, il échappera à la conversion judiciaire prévue par les articles 745 quater et suivants du Code civil consacrée en faveur du conjoint survivant mais également et surtout en faveur des descendants d’une précédente relation . 

Dans cette dernière situation, la valorisation des droits du conjoint usufruitier lui sera d’autant plus défavorable qu’il sera considéré comme ayant vingt ans de plus que l’aîné des descendants demandeurs.

Cet aspect n’est pas négligeable à la lumière des conséquences d’un démembrement légal qui à l’inverse s’opère au décès sur des titres d’une PME dont les enfants ont des visions divergentes de celles de l’époux associé survivant. Et ce, à plus forte raison que le Tribunal de la famille ne pourrait, nous semble-t-il, vouloir s’opposer à la conversion au motif que l’usufruit porte sur des biens professionnels , les titres ne s’y assimilant à l’évidence pas.  

Le bénéficiaire de l’accroissement en usufruit ne sera pas pour autant libéré de toutes obligations, loin s’en faut ; il sera notamment tenu de gérer l’entreprise en bon de père de famille et de la préserver dans les limites fixées par le législateur .

La teneur du droit transmis pourrait être laissée à l’appréciation du bénéficiaire qui au terme d’un délai convenu par les parties aurait à opter pour la pleine propriété, la nue-propriété ou l’usufruit.

L’accroissement peut également porter à notre estime sur un portefeuille-titres. En pareille hypothèse, l’objet du contrat est l’universalité fongible distincte des différentes valeurs mobilières qui la composent. 

Cette conception a été consacrée par l’arrêt Baylet rendu par la Cour de Cassation française en 1998 . Elle est également partagée par une éminente Doctrine . 

S.NUDELHOC  rappelle d’ailleurs que la conception d’universalité de fait du portefeuille-titres se déduit sans équivoque de l’article 616 du Code civil.

En cas de démembrement, les usufruitiers s’assureront peut-être surabondamment mais utilement à défaut de décision équivalente en droit positif belge de l’adhésion des nus-propriétaires à cette qualification . 

Ils prendront encore soin d’obtenir l’accord des nus-propriétaires sur les arbitrages qu’ils entendent opérer et qui seraient de nature à porter atteinte à sa substance au sens de l’article 578 du Code civil. 

Les biens dépendant d’un patrimoine commun ou d’une masse y assimilée telle une société d’acquêts ne sont susceptibles d’accroissement sans porter atteinte à l’immutabilité d’ordre public des régimes matrimoniaux qui interdit de modifier le statut matrimonial d’un bien en dehors des procédures prévues à cet effet .

2.3 Un contrat à titre onéreux. 

Le caractère onéreux de ces conventions tient à l’incertitude et aux chances égales de chaque partie de devenir le bénéficiaire, au décès de l’autre, d’une contrepartie semblable. 

En d’autres termes, l’espérance de vie des contractants doit être équivalente. L’âge des parties s est à considérer mais également leur état de santé.

L’exercice d’une profession à risque ou la pratique d’un sport périlleux peut à notre estime influencer le caractère aléatoire de l’accroissement même si leur impact précis apparaît difficilement quantifiable. 

Un déséquilibre dans les probabilités, à la conclusion de la convention n’entrainera pas nécessairement la perte de ce caractère. 

Ce déséquilibre peut être compensé par une participation plus importante dans le prix d’achat des valeurs. Le plus jeune âge d’un des deux associés de même sexe peut par exemple être contrebalancé par une participation plus importante de l’autre associé dans le bien acquis.  

La Cour d’appel d’Anvers  et le Tribunal de Première Instance de Turnhout  ont respectivement considéré qu’une différence d’âge de 20 et 16 ans n’avait pour conséquence de dénaturer la convention.

2.4 Les principaux effets du contrat d’accroissement 

La convention d’accroissement échappe à la qualification de donation et à son cortège de garde-fous que l’on songe simplement à la réserve, à la révocabilité ad nutum entre-époux, au consentement renforcé…

Elle a pour effet de faire sortir le bien et sa valeur de la succession du prémourant, ceux-ci n’étant sujet ni à rapport, ni à réduction ni à retour. 

Le titre est transféré non par décès mais à l’occasion du décès.

III. Sous l’angle fiscal 

3.1  Un acte entre-vifs et aléatoire gage de neutralité fiscale.

L’accroissement présente sur un plan fiscal des qualités symétriques.

Il a longtemps existé un certain flou sur la ligne adoptée par l’Administration à propos des clauses d’accroissement mobilières. 

Le Ministre des finances y mit un terme dans une réponse à une question parlementaire du 14 juin 2005, affirmant que les principes en vigueur pour les clauses d’accroissement relatives à des biens immeubles s’appliquent également aux clauses d’accroissement qui portent sur des biens meubles .

Le titre de transmission des valeurs mobilières cédées par accroissement étant un acte entre-vifs, elles échappent à l’impôt successoral . 

La clause d’accroissement est un contrat à titre onéreux qui lorsqu’il porte sur des valeurs mobilières n’est visée ni par les codes des droits d’enregistrement  ni par le code flamand de la fiscalité. 

Selon le Ministre des finances « La qualification d'une clause d'accroissement en un acte à titre onéreux ou en un acte à titre gratuit dépend de l'intention des parties. Cette intention est examinée en tenant compte de toutes les circonstances de l'affaire et entre autres de la qualité des parties et des liens existant entre elles.  » Et de préciser : « Je peux vous confirmer que si la convention d'accroissement est réellement un contrat aléatoire, et par conséquent un acte à titre onéreux, l'accroissement n'est pas soumis à un droit d'enregistrement proportionnel et pas davantage au droit de succession. » 

Le caractère onéreux de l’accroissement se déduit essentiellement de la question de savoir si la convention présente un aléa. Lequel tient à l’incertitude et aux chances équivalentes de chaque partie d’en devenir le bénéficiaire et de percevoir un droit identique à la part qu’il détient et qu’il cède. 

Cet aléa - et cette équivalence de probabilité - chassent la donation pour reprendre l’expression titrant une contribution de Y-H LELEU .  

L’égalité des chances et partant la qualification de contrat aléatoire, commutatif et à titre onéreux s’apprécie au moment de la formation du contrat d’accroissement. 

Une modification de cet équilibre en aval de la convention ne pourrait avoir pour effet d’en changer la nature.  

3.2  Les motivations de l’accroissement ou l’absence d’intention libérale.

A supposer qu’un certain déséquilibre existe entre les chances des uns et des autres, il n’en reste pas moins que la qualification de donation que voudrait lui imprimer l’Administration nécessite que soit établie par elle l’intention libérale dans le chef du cédant prédécédé.

Nous avons évoqué que des motivations diverses peuvent présider à la conclusion d’un accroissement. 

Des actionnaires peuvent vouloir par ce biais garantir la continuité ou la pérennité d’une entreprise, d’un patrimoine d’exception…. garantir qu’ils seront gérés par des personnes qui partagent et cultivent une vision commune. 

De telles motivations apparaissent peu empruntes d’animus donandi et ne semblent pas permettre de fonder une requalification nonobstant une différence d’âge importante entre actionnaires animés d’une réelle affectio societatis. 

Le Service des décisions anticipées a rendu le 24 juillet 2007  une décision en ce sens à propos d’une convention d’accroissement portant sur les titres d’une société familiale.

Les demandeurs souhaitaient avoir la confirmation qu’au décès du survivant les titres transmis ne seront soumis ni à un droit d’enregistrement proportionnel ni aux droits de succession.

La structure de la décision et sa motivation sont particulières. L’Administration considère d’abord que le caractère aléatoire du contrat est acquis eu égard à la faible différence d’âge des parties et à l’absence d’observations spécifiques concernant leur santé. 

L’équilibre des prestations est partant établi, peut-on lire dans la décision.

L’Administration ajoute pourtant de manière surprenante et quelque peu confuse que la circonstance que les conditions pour bénéficier du régime de « transmission d’entreprise » de l’ancien article 60 bis du Code flamand des successions soient rencontrées démontre l’absence de motivation fiscale.  

Dès lors qu’il est acquis qu’il s’agit d’un contrat entre-vifs à titre onéreux, l’on perçoit mal quelle autre qualification juridique qui sous l’empire de l’ancienne mesure anti-abus alors applicable, aurait pu lui être substituée. Tant la condition d’application de l’équivalence des effets , que la déclaration du Ministre des Finances selon laquelle la mesure générale anti-abus était inapplicable aux opérations touchant à la matière patrimoniale  rendaient toute requalification peu vraisemblable.

Le régime de l’ancien article 60 bis est au demeurant particulièrement contraignant, il s’applique aux sociétés d’exploitation et prévoit notamment une condition d’intangibilité du capital et des investissements de la société pendant cinq ans.

L’Administration pointera ensuite dans la foulée que le contrat a été rédigé par les demandeurs en vue de centraliser l’actionnariat et garantir la gestion et la survie de l’entreprise familiale.

L’exécution d’une obligation naturelle, un souci de prévoyance, peuvent être autant de visées poursuivies par les contractants.  

De tels mobiles que les parties veilleront à révéler permettront d’écarter tout animus donandi. 

3.2 La clause d’accroissement au regard des mesures anti-abus. 

3.2.1 L’abus fiscal.

Les nouvelles dispositions 18 § 2 du Code des droits d’enregistrement et 106 § 2 du Code des droits de succession s’appliquent désormais à la sphère patrimoniale. Il en va de même de l’article 3.17.0.0.2 du Code flamand de la fiscalité . 

Les clauses d’accroissement ne sont pas considérées à priori par l’administration comme des montages suspects.  

La circulaire fédérale n°5/2013 du 10 avril 2013  reprend la clause d’accroissement dans sa « liste blanche » des actes juridiques qui ne peuvent pas, en soi, être catalogués comme abus fiscal. 

La circulaire flamande du 16 février 2015  la reprend également comme opération non suspecte.

Par ailleurs, le contribuable à qui l’Administration oppose l’abus fiscal peut établir que son acte se justifie par d’autres motifs que la volonté d’éviter l’impôt. Ses motifs ne doivent plus être financiers ou économiques, la volonté de pérenniser son patrimoine peut à notre estime constituer une justification permettant d’empêcher que l’acte soit déclaré inopposable. 

Nous avons vu que les parties peuvent vouloir éviter ou postposer les écueils d’une indivision successorale dont la sortie d’indivision forcée semble inéluctable ou probable à l’aune des intentions affichées ou subodorées de certains héritiers ou légataires. 

Un accroissement entre époux constitue un mode de protection visant à garantir au survivant les revenus des titres transmis et à le prémunir de toute tentation de ses enfants ou beaux-enfants d’exiger la capitalisation de son usufruit. 

3.2.2 Les mesures anti-abus spécifiques.

La mesure générale anti-abus s’applique à titre subsidiaire, c’est-à-dire à défaut de mesures anti-abus spécifiques. 

Dès lors que l’accroissement qualifie d’acte à titre onéreux, la requalification en legs des donations mobilières faites sous condition suspensive réalisée par la suite du décès du donateur visée par l’article 4 3° du Code bruxellois des droits de succession et l’article 2.7.1.0.3 du Code flamand de la fiscalité est inapplicable.   

Il en est de même de l’article 131 bis § 3 du Code wallon des droits d’enregistrement privant du bénéfice du taux réduit les donations faites en pareille circonstance. 

De surcroît, nous ne pensons pas qu’une clause d’accroissement puisse être réduite à deux cessions faite sous condition suspensive du décès du cédant. 

Dès sa formation, l’accroissement est un contrat synallagmatique unique, l’exécution de la convention et les effets qu’elle produit au décès d’un des contractants n’y changent évidemment rien.

L’on sera néanmoins prudent dans la rédaction de cette convention.

Conclusions

La convention d’accroissement constitue un outil de planification patrimoniale efficace, discret et simple d’un point de vue formel du moins.

Elle est aussi un outil à manier avec précaution en raison des effets redoutables qu’elle peut induire sur la succession des parties et des implications transversales qu’elle engendre.

L’irrévocabilité d’une telle convention ne doit pas non plus être sous-estimée par ses rédacteurs . 

Nous avons démontré l’importance du caractère aléatoire de cette convention ainsi que des motivations qui doivent présider à sa rédaction.

Ils constituent le gage de l’absence de requalification en donation indirecte aux conséquences civiles et fiscales diamétralement opposées.

L’assise de ces deux éléments apparaît d’autant plus fondamentale que la Jurisprudence tant en matière civile qu’en matière fiscale est vive depuis de nombreuses années sur la qualification d’autres conventions apparentées par l’aléa.

Gaëtan Van Elder 

Avocat associé